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L'individualiste
11 février 2011

L’OEUVRE DE MAX STIRNER : L’UNIQUE & SA PROPRIETE par JOHN-HENRY MACKAY (2ème partie)

     Aux mains de l’Etat, la force s’appelle “droit”, aux mains de l’individu elle se nomme “crime” Crime signifie emploi de sa force par l’individu; ce n’est que par le crime que l’individu peut détruire la puissance de l’Etat, quand il est d’avis que c’est lui qui est au-dessus de l’Etat et non l’Etat qui est au-dessus de lui.”

          Mes relations avec l’Etat ne sont pas celles qu’entretient un Unique avec d’autres Uniques ayant eux-mêmes leur loi et leur norme de vie, mes relations avec l’Etat sont celles de pécheur à Saint. Mais la sainteté est une idée fixe et ce sont les idées fixes qui engendrent les crimes.

          “Ni la raison divine, ni la raison humaine n’ont de réalité; seules ta raison et ma raison sont réelles, de même que et parce que toi et moi seuls sommes réels.”

          “La dernière opposition et la plus radicale, celle de l’Unique à l’Unique, est au fond bien éloignée de ce qu’on entend par opposition, sans pour cela retomber dans l’unicité ou l’identité. Et tant qu’Unique, tu n’as plus rien de commun avec personne, et par là-même plus rien d’inconciliable ou d’hostile. Tu ne demandes plus contre lui ton droit à un tiers et tu ne te tiens plus avec lui sur le terrain du droit ni sur aucun autre terrain commun. L’opposition se résout en une séparation, en une unicité radicale.”

          “Ce que me permet ma puissance, personne d’autre n’a besoin de me le permettre; elle me donne la seule autorisation qu’il me faille. Le droit est une marotte, dont nous a gratifiés un fantôme... La force, c’est moi-même, moi qui suis puissant et le possesseur de la puissance.”

          De ma puissance sur le monde découlent mes rapports avec lui.

          Stirner consacre presque un tiers de son ouvrage à ce chapitre : l’anéantissement de toute puissance étrangère cherchant à opprimer et à supprimer le Moi sous ses différents aspects, en premier lieu - l’exposé de nos relations mutuelles, telles qu’elles résultent du conflit et de l’harmonie de nos intérêts, en second lieu.

          Le peuple - l’Humanité et la famille (ce minuscule petit peuple) vit de Moi, l’Égoïste, mais sa liberté n’est pas ma liberté. Le bien public n’est pas mon bien, mais le suprême degré de l’abnégation. Un peuple ne peut être libre qu’aux dépens de l’individu, car sa liberté ne touche que lui et n’est pas l’affranchissement de l’individu; plus le peuple est libre, plus l’individu est lié. C’est à l’époque de sa plus grande liberté que le peuple établit l’ostracisme, bannit les athées et fit boire la ciguë au plus probe de ses penseurs.” Le peuple ne m’est pas sacré. “Tout ce qui est sacré est un lien, une chaîne.” Moi, l‘unique, je ne pense qu’à ma mise en valeur. “La chute des peuples et de l’humanité sera le signal de mon élévation.”

          “... Il n’est personne qui n’ait remarqué l’intérêt passionné que l’époque actuelle témoigne pour la question sociale de préférence à toute autre question, et qui n’ait en conséquence dirigé spécialement son attention sur la société. Pourtant si cet intérêt était moins aveuglé par la passion, on ne perdrait pas de vue l’individu pour ne plus voir que la Société, et on reconnaîtrait qu’une Société ne peut guère se renouveler tant que ses éléments vieillis ne sont pas remplacés par d’autres...”

          “... Le peuple chrétien a produit deux sociétés qui dureront ce que lui-même durera : l’Etat et l’Église. Peut-on les appeler des associations d’égoïstes ? Poursuivons-nous en elles un intérêt égoïste , personnel, individuel ou y poursuivons-nous un intérêt populaire (parce que du peuple chrétien) sous le nom d’intérêt de l’Etat ou d’intérêt de l’Église ? M’est-il en elles possible, m’est-il par elles permis d’être moi-même ? Puis-je penser et agir comme je peux, puis-je me manifester, m’affirmer, vivre ma vie à moi ? Ne dois-je pas laisser intactes la majesté de l’Etat et la sainteté de l’Église ?

           “... Ainsi donc, ce que je veux, je ne le puis pas. Mais est-il une société, quelle qu’elle soit, où je puisse espérer trouver cette liberté d’action illimitée ? Non ! Et une société est-elle capable de nous satisfaire ? En aucune façon ! C’est tout autre chose de me heurter à un autre Moi ou de me heurter à un peuple, à une généralité. Dans le premier cas, mon adversaire et moi combattons d’égal à égal; dans le second, je suis un adversaire méprisé, enchaîné et tenu en tutelle...”

          “... Tant qu’il reste debout une seule institution qu’il n’est pas permis à l’individu d’abolir, le Moi est encore bien loin d’être Sa propriété et d’être autonome. Comment parler de liberté, tant que je dois par exemple me lier par serment à une constitution, à une charte, à une loi, tant que je dois jurer d’appartenir corps et âme à mon Peuple ? Comment être moi, même s’il n’est permis à mes facultés de se développer que pour autant qu’elles ne troublent pas l’harmonie de la société ? ...”  (WEITLING)

          Il y a une différence entre la société et les relations entre les humains. La société peut être comparée à une assemblée de personnes réunies en une salle ou dans un bâtiment qu’elles occupent en commun. On ne leur demande pas d’être là. Les relations, au contraire, impliquent conscience et réciprocité. Il s’ensuit que la société n’est pas mon oeuvre ni la tienne, elle est l’œuvre d’un tiers : l’Etat ou l’Église.

          On sait que la famille est une communauté qui se considère comme inébranlable et sacrée. D’ailleurs, elle ne peut être cette communauté que si tous ses membres en observent la loi : là ne peut s’en détacher sous peine d’être criminel envers elle, de la “déshonorer”, d’ “en faire la honte”, etc. L’individu chez qui l’instinct égoïste n’est pas assez fort se soumet : il “fait honneur à sa famille” Si, au contraire, le sang égoïste bout avec assez d’ardeur dans ses veines, il préfère être regardé comme un dévoyé et ses soustraire à ses lois (d’ailleurs le bien de ma famille et mon bien peuvent coïncider, ce qui est utile (ou avantageux) à ma famille peut l’être également pour moi; la famille n’est plus alors une communauté sacrée, c’est une union réciprocitaire) La famille étant une communauté sacrée à laquelle l’individu doit obéissance, la fonction de juge lui appartient, comme il ressort des tribunaux ou “conseils” de famille. L’ancien droit chinois donnait à la responsabilité de la famille une sanction très logique en faisant expier par toute la famille la faute d’un de ses membres.

          L’Etat, qui peut délier les membres de la famille de leurs obligations vis-à-vis d’elle, est une société et non pas une association. Supérieur à la famille, il en est l’extension. Il me prend sous son aile tutélaire et je vis de sa “grâce”. Toute la culture qu’il est capable de me donner est un dressage en vue de faire de moi “un bon instrument”, un “membre utile à la Société” La domination de l’Etat ne diffère pas de celle de l’Église; l’une s’appuie sur la piété, l’autre sur la moralité. La fameuse tolérance des sociétés démocratiques ne s’exerce qu’en faveur de ce qui est “inoffensif” et “sans danger” L’Etat ne poursuit jamais qu’un but : limiter, assujettir l’individu, le subordonner à une généralité quelconque. La libre activité de l’Unique n’a jamais été, ne sera jamais son but. L’Etat ne connaît que le machinisme.

          Les nationalistes s’efforcent de faire une unité abstraite et sans vie de tout ce qui est abeille humaine. Les individualistes, eux, luttent pour l’unité personnellement voulue qui naît de l’association.

          C’est la marque de toutes les tendances réactionnaires de vouloir instaurer quelque chose de général, d’abstrait, un concept creux et sans vie, tandis que les vœux des égoïstes tendant à délivrer les individus pleins de vie et de vigueur du faix des généralités abstraites...”

          Celui-là est le vrai politicien qui a foi en l’Etat; dans son parti est enfermé tout son horizon. Lui, le bon citoyen personnifie “l’esprit inné de la légitimité de la loi” et il se soumet sans protester aux châtiments qu’elle édicte. Mais comme les châtiments infligés par l’Église sont tombés en désuétude, de même disparaîtront ceux prescrits par l’Etat.

          “... Ne peut-on être d’aucun parti ? Entendons-nous : En entrant dans votre parti et dans vos cercles, je conclus avec vous une alliance, qui durera aussi longtemps que votre parti et moi poursuivons le même but. Mais si aujourd’hui je me rallie à son programme, demain peut-être je ne pourrai plus le faire et je lui deviendrai infidèle. Le parti n’a pour moi rien qui me lie, rien d’obligatoire et je ne le respecte pas; s’il cesse de me plaire je me retourne contre lui...”

          Le peuple ne vaut pas mieux que l’Etat.

          “... Le peuple met une véritable rage à exciter la police contre tout ce qui lui semble immoral ou souvent simplement inconvenant, et cette rage de moralité que possède le peuple est pour la police une protection bien plus sûre que celle que pourrait lui assurer le gouvernement...”

          Celui qui se refuse à dépenser ses forces pour des sociétés aussi restreintes que la Famille, le Parti ou la Nation aspire encore et toujours à une société de signification plus haute : la “société humaine” ou “l’Humanité”

          “... Le Peuple est le corps, l’Etat est l’esprit de cette personne souveraine qui m’a jusqu’ici opprimé. On a voulu transfigurer le Peuple et l’Etat en l’élargissant jusqu’à y voir respectivement l’humanité et la raison universelle. Mais ce magnificat  n’aboutit qu’à rendre la servitude plus lourde; Philanthropes et Humanitaires sont des maîtres aussi absolus que les Politiciens et les Démocrates...”

          “... L’histoire cherche l’homme : mais l’homme c’est toi, c’est moi, c’est nous ! Après l’avoir pris pour un être mystérieux, une divinité, et l’avoir cherché dans le Dieu d’abord, puis dans l’Homme (l’humanité, le genre humain), je l’ai enfin trouvé dans l’individu borné et passager, dans l’Unique...”

          Je suis possesseur de l’humanité. Je suis l’humanité, et je ne fais rien pour le bien d’une autre humanité. La propriété de l’Humanité est la mienne. Je ne respecte pas sa propriété.

          “... Je ne recule pas avec un religieux effroi devant ta ou votre propriété : je la considère toujours, au contraire, comme ma propriété que je n’ai pas à respecter. Traitez donc de même ce que vous appelez ma propriété. C’est en nous plaçant tous à ce point de vue qu’il nous sera le plus facile de nous entendre...”

          La pauvreté consiste en ce que je ne puis pas me faire valoir comme je le veux. L’Etat est un obstacle qui m’empêche d’entrer en relations directes avec les autres. Ma propriété privée n’existe que par la grâce de l’Etat : je ne peux “concurrencer” qu’au-dedans des limites qu’il me trace. Je ne puis utiliser que les moyens d’échange, l’argent qu’il autorise. Les formes de l’Etat peuvent changer, ses intentions sont toujours les mêmes.

          Or, ma propriété est ce qui est en ma puissance et rien d’autre. A quoi suis-je légitimement autorisé ? A tout ce dont je suis capable. La puissance étrangère, la puissance que je laisse à autrui a fait de moi un serf; puisse ma propre puissance faire de moi un propriétaire !

          Ce n’est pas par l’amour que se résoudra la question sociale.

          “... Les ouvriers qui réclament une augmentation de salaire sont traités en criminels dès qu’ils tentent de l’arracher de force au patron. Que doivent-ils faire ? S’ils n’usent pas de leur force, ils s’en retourneront les mains vides; mais user de sa force, recourir à la contrainte, c’est mettre en pratique l’aide-toi toi-même, c’est se faire valoir soi-même - tirer librement et réellement de sa propriété ce qu’elle vaut - toutes choses que l’Etat ne peut tolérer. Que faire donc, diront les travailleurs ? Que faire ? Vous compter, ne compter que sur vous-mêmes et ne pas vous occupez de l’Etat...”

          Le Communisme n’abolit pas la pauvreté réelle.

          “... Que les bien soient entre les mains de la communauté qui m’en accorde une partie ou entre les mains des particuliers, il en résulte toujours pour moi la même contrainte, attendu que je ne puis en aucun cas en disposer. Bien entendu, en abolissant la propriété personnelle, le communisme ne fait que me rejeter plus profondément sous la dépendance d’autrui, autrui s’appelant désormais la généralité ou la communauté... le but que poursuis le Communisme est un nouvel Etat, un statut, un ordre de choses destiné à paralysé la liberté de mes mouvements, un pouvoir souverain supérieur à moi : il s’oppose avec raison à l’oppression dont je suis victime de la part des individus propriétaires, mais le pouvoir qu’il donne à la communauté est plus tyrannique encore...

          C’est par une autre voie que l’égoïsme marche vers l’extinction du paupérisme.

          “... Si les hommes parviennent à perdre le respect de la propriété, chacun aura une propriété de même que tous les esclaves deviennent hommes libres dès qu’ils cessent de respecter en leur maître un maître. Alors pourront se conclure des alliances entre individus, des associations d’égoïstes, qui auront pour effet de multiplier les moyens d’action de chacun et d’affermir sa propriété sans cesse menacée...”

          “... Si le Socialiste dit : La Société me donne ce qu’il me faut, - l’Égoïste répond : Je reprends ce qu’il me faut. Si les Communistes agissent en gueux, l’Égoïste agit en propriétaire...”

          Qu’on ne se laisse pas donc appâter par l’amour ! Qu’on ne se laisse pas attraper par la promesse de la communauté des biens ! C’est de l’égoïsme seul que la plèbe doit attendre quelque aide; cette aide, elle doit se le prêter à elle-même et c’est ce qu’elle fera. La plèbe est une puissance pourvu qu’elle ne se laisse pas dompter par la crainte. La propriété ne doit et ne peut donc pas être abolie; ce qu’il faut c’est l’arracher aux fantômes pour en faire ma propriété. Alors s’évanouira cette illusion que je ne suis pas autorisé à prendre tout ce dont j’ai besoin.

          La question de la propriété ne sera résolue que par la guerre de tous contre un. Les pauvres ne deviendront libres et propriétaires que lorsqu’ils s’insurgeront, se soulèveront, s’élèveront. Quoique vous leur donniez, ils voudront toujours davantage, car ils ne veulent rien moins que la suppression de tout don, de toute aumône, sous quelque forme que ce soit.

          Mais, demandera-t-on, que se passera-t-il quand les sans fortune auront pris courage ? Comment s’opèrera le nivellement ? Ce que fera un esclave quand il aura brisé ses chaînes ? ¾ Attendez et vous le saurez.

          “Des unions entre individus multiplieront les moyens d’action de chacun et sauvegarderont sa propriété menacée”... “Si nous voulons nous approprier le sol, au lieu d’en laisser l’aubaine aux propriétaires fonciers, unissons-nous, associons-nous dans ce but et formons une union qui s’en rendra propriétaire. Si nous réussissons, ceux qui sont propriétaires cesseront de l’être. Et de même que nous les aurons dépossédés de la terre et du sol, nous pourrons encore les expulser de mainte autre propriété, pour la faire nôtre, la propriété de nos ravisseurs”... Ce à quoi tous veulent avoir part sera retiré de ce même individu qui veut l’avoir pour lui tout seul et sera érigé en bien commun. En tant que bien commun, chacun en a sa part, et cette part sera sa propriété... La propriété dont nous sommes encore dépourvus en ce moment sera mieux utilisée dans les mains de nous tous. Unissons-nous pour ce vol.”

          “Le paupérisme est un corollaire de la non-valeur du Moi, de mon impuissance à me faire valoir. Aussi Etat et paupérisme sont-ils deux phénomènes inséparables. L’Etat n’admet pas que je me mette moi-même à profit et il n’existe qu’à condition que je n’aie pas voix au chapitre : toujours il vise à tirer parti de moi, c’est-à-dire à m’exploiter, à me dépouiller, à me faire servir à quelque chose, ne fût-ce, qu’à engendrer une proles (prolétariat); il veut que je sois sa créature.”

          Que me parlez-vous de liberté de concurrence, ô bourgeois, alors que les moyens de concourir, les choses nécessaires à la concurrence, me font défaut ? Loin de moi, fabricants du bonheur du peuple, avec votre partage égal. Je prends ce dont j’ai besoin. Et ce dont j’ai besoin, c’est autant que je suis capable de m’approprier.

          Mon verbe est aussi ma propriété et là où me manque la liberté d’expression, je m’approprie “la liberté de la presse” La presse peut être libre de bien des choses, mais elle ne le sera jamais que de ce dont je suis moi-même libre. Affranchissons-nous de tout ce qui est sacré, soyons sans foi et sans loi et nos discours le seront aussi. Une liberté de la presse n’est qu’un permis d’imprimer que me délivre l’Etat, et l’Etat ne permettra jamais et il ne peut librement permettre que j’emploie la presse à l’anéantir. Il en est de même si la presse devient propriété du Peuple. Il en est de la liberté de la presse comme de toute autre liberté, je dois la prendre moi-même. La liberté de la presse ne peut produire qu’une presse responsable. Une presse irresponsable ne peut naître que de la propriété de la presse. Ce n’est pas libre que doit être la presse - elle doit être à Moi ! L’individualité, la propriété de la presse, voilà ce que je veux conquérir. D’ailleurs, la presse est ma propriété à partir du moment où, pour Moi, il n’y a rien au-dessus de Moi, ni Etat, ni Église, ni Peuple, ni Société !

          “... Une infatigable âpreté à la curée ne nous laisse pas le temps de respirer et de nous arrêter à une jouissance paisible. Nous ne connaissons pas la joie de posséder... Lorsqu’on parle d’organiser le travail, on ne peut avoir en vue que celui dont d’autres peuvent s’acquitter à notre place, par exemple, celui du boucher, de laboureur, etc.; mais il est des travaux qui restent du ressort de l’égoïsme, attendu que personne ne peut exécuter pour vous le tableau que vous peignez, produire vos compositions musicales, etc.; personne ne peut faire l’œuvre de Raphaël. Ces derniers travaux sont ceux d’un Unique, ce sont les oeuvres que cet Unique seul est à même d’exécuter, tandis que les premiers sont des travaux banaux que l’on pourrait appeler humains, attendu que l’individualité de l’ouvrier y est sans importance et qu’on peut y dresser à peu près tous les hommes... il est par conséquent toujours à souhaiter que nous nous unissions pour les travaux humains, afin qu’ils n’absorbent plus tout notre temps et tous nos efforts comme ils le faisaient sous le régime de la concurrence.”

          Rien ne s’oppose à “payer de notre poche un prix équitable aux infirmes, aux malades et aux vieillards, pour que la faim et la misère ne nous les enlèvent pas; car si nous voulons qu’ils vivent, la satisfaction de ce désir il convient que nous l’achetions; je dis bien que nous l’achetions, je ne songe nullement à une misérable aumône. Leur vie est aussi leur propriété, à ceux-là même qui ne peuvent pas travailler; et si nous voulons (n’importe pour quelle raison) qu’ils ne nous privent pas de cette vie qui est à eux, il n’y a pas d’autre moyen d’obtenir ce résultat qu’en l’achetant.” Pourquoi ? “Parce que nous aimons à voir autour de nous des visages souriants”, ne voudrions-nous pas leur bien-être ?

          “... Abolir le régime de la concurrence ne veut pas dire favoriser le régime de la corporation. Voici la différence : dans la corporation, faire le pain, etc., est l’affaire des compagnons : sous la concurrence, c’est l’affaire de ceux à qui il plaît de concourir; dans l’association, c’est l’affaire de ceux qui ont besoin de pain, par conséquent la mienne, la vôtre; ce n’est l’affaire ni des compagnons, ni de boulangers patentés, mais bien celle des associés.”

          “De l’amour tel qu’il est naturel à l’homme de le ressentir, la civilisation a fait un commandement !... Moi aussi, j’aime les hommes, non seulement quelques-uns mais chacun d’eux. Mais je les aime avec la conscience de mon égoïsme : je les aime parce que l’amour me rend heureux; j’aime parce qu’il m’est naturel et agréable d’aimer. Je ne connais pas d’obligation d’aimer. J’ai de la sympathie pour tout être sensible, ce qui l’afflige m’afflige et ce qui le soulage me soulage : je pourrais le tuer, je ne saurais le martyriser... Quand je vois souffrir celui que j’aime, je souffre avec lui et je n’ai de repos que je n’aie tout tenté pour le consoler et l’égayer. Quand je le vois joyeux, sa joie me rend joyeux... Et c’est parce que je ne puis supporter ce pli douloureux sur le front aimé, c’est par conséquent dans mon intérêt que je l’efface par un baiser... Je ne veux dissiper que mon chagrin... Le principe de l’amour m’assure contre la domination du monde, car quoi qu’il arrive, j’aime. Ce qui est laid, par exemple, peut m’inspirer de la répulsion, mais comme j’ai résolu d’aimer, je surmonte cette impression désagréable, comme je surmonte toute autre antipathie.”

          “... Quand le monde se trouve sur mon chemin (et il s’y trouve toujours), je le consomme pour apaiser la faim de mon égoïsme : tu n’es pour moi qu’une nourriture; de même, toi aussi, tu me consommes et tu me fais servir à ton usage. Il n’y a entre nous qu’un rapport, celui de l’utilité, du profit, de l’intérêt. Nous ne devons rien à l’autre, car ce que je puis paraître te devoir, c’est tout au plus à moi que je le dois. Si pour te faire sourire, je t’aborde avec une mine joyeuse, c’est que j’ai intérêt à ton sourire et que mon visage est au service de mon désir. A mille autres personnes que je ne désire pas faire sourire, je ne sourirai pas.”

          Je ne connais donc aucun “commandement d’aimer”” Comme tous mes autres sentiments, l’amour est ma propriété. Je donne mon amour, je l’accorde, je le prodigue parce que cela me rend heureux. Si vous croyez y avoir droit, méritez-le. Je ne laisse pas prescrire de mesure à mes sensations ni imposer de but à mes sentiments. Il n’est entre Moi et le monde qu’un rapport : celui de l’utilité.

          “... Si j’ai dit d’abord : j’aime le monde, je puis tout aussi bien ajouter à présent : Je ne l’aime pas; car je l’anéantis comme je m’anéantis; j’en use et je l’use. Je ne m’astreins pas à n’éprouver pour les hommes qu’un seul et invariable sentiment, je donne libre cours à tous ceux dont je suis capable. Pourquoi ne le déclarerai-je pas crûment ?” ... Oui, j’utilise le monde et les hommes (1) Je puis ainsi rester ouvert à toute espèce d’impressions, sans qu’aucune d’elle m’arrache à moi-même.

          Je ne trahirai pas la confiance que j’ai librement permis qu’on ait en moi; qu’un homme qui poursuit mon ami me demande dans quelle direction il s’est enfui, je le mettrai certainement sur une fausse piste. Une parole d’honneur ou un serment ne m’engagent donc qu’envers celui à qui moi-même je donne le droit de les recevoir; contraint à jure de dire la vérité, je ne donnerai qu’une parole contrainte, c’est-à-dire hostile, la parole d’un ennemi... Tu as voulu me lier ? Apprends donc que je puis rompre tes liens.

          “Notre désir de délivrer le monde des liens qui entravent sa liberté n’a pas sa source dans notre amour pour lui, mais dans notre amour pour nous; n’étant ni par profession ni par amour les libérateurs du monde, nous voulons simplement en enlever la possession à d’autres et le faire nôtre : il ne faut pas qu’il reste asservi à Dieu (l’Église) et à la loi (l’Etat), mais qu’il devienne notre propriété. Quand le monde est à nous, il n’exerce plus sa puissance contre nous, mais pour nous. Mon égoïsme a intérêt à affranchir le monde, afin qu’il devienne ma propriété.”

          L’état primitif de l’homme n’est pas l’isolement, mais bien la société... La société est notre état de nature... Mais l’union ou l’association sont la dissolution de la société. Il est vrai qu’une association peut dégénérer en société, comme une pensée peut dégénérer en idée fixe; cela à lieu quand dans la pensée s’éteint l’énergie pensante, le penser lui-même, ce perpétuel désaveu de toutes les pensées qui prennent trop de consistance... Qu’une société, l’Etat par exemple, restreigne ma liberté, cela ne me touche guère... Mon individualité au contraire, je n’entends pas la laisser entamer... Il importe assez peu que je me prive moi-même (par exemple par un contrat) de telle ou telle liberté, car il y a loin d’une société qui ne restreint que ma liberté à une société qui restreint mon individualité. La première est union, accord, association; la seconde est tyrannie et asservissement. D’ailleurs on ne peut éviter une certaine limitation de la liberté, car il est impossible de s’affranchir de tout.

          Pour en revenir à l’association, il est évident que les restrictions à la liberté et les obstacles à la volonté n’y manqueront pas; car son but n’est pas spécialement la liberté, qu’elle sacrifie à l’individualité, mais cette individualité elle-même. Elle est aux antipodes de l’Etat, qui est l’ennemi, le meurtrier de l’individu, alors qu’elle ¾ l’association ¾ elle en est la fille et l’auxiliaire.

(1) Ja, Ich benutze die Welt und die Menschen.

          Contrairement à l’Etat qui s’impose à moi, l’association est mon oeuvre, ma créature, est née de moi, elle n’est pas une puissance spirituelle supérieure à mon esprit... D’ailleurs, pas plus que je ne veux être l’esclave de mes maximes (j’entends qu’elles restent incessamment exposées à la critique), je n’entends “vendre mon âme” à l’association.

          Si je m’associe avec mon prochain, c’est pour que cet accord augmente ma force, pour que nos puissances réunies produisent plus que l’une d’elles prise isolément. Mais je ne vois dans cette réunion rien d’autre qu’une augmentation de ma force et je ne la maintiens que tant qu’elle est ma force multipliée.

          Ce n’est que dans l’association que votre unicité peut s’affirmer, parce que l’association ne vous possède pas, mais que c’est vous qui la possédez. Et voici la différence entre l’association et la société : dans l’association tu apportes toute ta puissance, tout ce que tu as, tout ce que tu es, tu t’y fais valoir, dans la société, par contre, toi, ton être, ton avoir, ton activité êtes utilisés. Dans l’association, tu vis en égoïste; dans la société, tu vis en homme, excédé de devoirs sociaux et tu ne peux la quitter, tandis que tu peux quitter l’association si elle a cessé de présenter des avantages pour toi. La société te considère comme son serviteur, elle te réclame comme son bien, elle peut exister sans toi, elle est sacrée, elle se sert de toi. L’association, au contraire, est ton outil, ton arme, elle n’existe que pour toi et par toi, elle aiguise et amplifie ta force naturelle, tu te sers d’elle, elle la ta propriété.

          Si je m’associe, c’est dans mon intérêt, par pu égoïsme. D’ailleurs en fait de “sacrifice” je ne renonce que ce qui échappe à mon pouvoir, autrement dit, je ne renonce à rien du tout.

          Pour moi, j’aime mieux avoir recours à l’égoïsme des hommes qu’à leurs “services d’amour”, à leur miséricorde, à leur charité, etc. L’égoïsme exige LA RECIPROCITE (donnant, donnant), il ne fait rien pour rien et s’il offre ses services, c’est pour qu’on les achète, c’est-à-dire qu’on le considère comme un propriétaire.-

          Au fronton de notre époque, on lit une maxime : “Fais-toi valoir”.

          Dresse-toi contre les institutions qui mettent en danger ta propriété d’Unique ¾ non pas en faisant la révolution, mais l’insurrection.

          Révolution et insurrection ne sont pas synonymes. La première consiste en un bouleversement de l’ordre établi, du statut de l’Etat ou de la société, elle n’a donc qu’une porté politique ou sociale. La seconde... n’est pas une levée de boucliers, mais l’acte d’individus qui s’élèvent, qui se redressent, sans s’inquiéter des institutions qui vont craquer sous leurs efforts ni de celles qui pourront en résulter. La révolution avait en vue un régime nouveau, l’insurrection nous mène à ne plus nous laisser régir, mais à nous régir nous-mêmes et elle ne fonde pas de brillantes espérances sur les “institutions à venir”... Elle est mon effort pour me dégager du présent qui m’opprime; et dès que je l’ai abandonné, ce présent est mort et tombe en décomposition... En somme, mon but n’est pas de renverser ce qui est, mais de m’élever au-dessus de lui, mes intentions et mes actes n’ont rien de politique ni de social; n’ayant d’autres objets que moi et mon individualité, ils sont égoïstes... La révolution ordonne d’instituer, d’instaurer; l’insurrection veut qu’on se soulève ou qu’on s’élève.

          Je n’ai pas de devoirs envers les autres, pas plus que je n’en ai envers moi (par exemple le devoir de la conservation opposé au suicide) Je ne m’humilie plus devant aucune puissance... Toutes les puissances qui furent mes maîtresses, le les rabaisse au rôle de mes servantes. Les idoles n’existent que par Moi; il suffit que je ne les crée plus pour qu’elles ne soient plus; il n’y a de “puissances supérieures” que parce que je les élève et me mets au-dessous d’elles.

          Pour les moralistes et les humanitaires, le monde demeure un “pieu désir” (pium desiderium), c’est-à-dire un au-delà, l’inaccessible. Mes relations avec le monde consistent en ce que je jouis de lui et l’emploie à ma jouissance. Relations équivaut à jouissance du monde et cela rentre dans ma jouissance de Moi.

          “La question, désormais, n’est plus de savoir comment conquérir la vie, mais comment la dépenser et en jouir; il ne s’agit plus de faire fleurir en moi le vrai moi, mais de faire ma vendange et de consommer ma vie.”

          Le monde n’a, jusqu’à présent, aspiré qu’à conquérir la vie.  Nous cherchons, nous, la jouissance de la vie. Quel abîme entre ces deux conceptions ! D’après la première, je me cherche; d’après l’autre, je me possède et je jouis de moi d’après mon bon plaisir. Je ne tremble pas pour ma vie, je la prodigue.

          “Pour triompher de l’aspiration à la vie, la jouissance de la vie doit la vaincre sous la double forme (montrée par Schiller dans sa poésie : L’Idéal et la Vie), écraser aussi bien la tendresse spirituelle que la détresse temporelle, exterminer à la fois la soif de l’idéal et la faim du pain quotidien. Celui qui doit user sa vie à la conserver ne peut en jouir, et celui qui la cherche ne l’a pas et ne peut plus en jouir : tous deux sont pauvres.

          Pendant des siècles, on a soupiré vers l’avenir et vécu dans l’espérance ¾ devant nous s’ouvre l’époque de la jouissance. A la barbarie des premiers sacrifices humains a succédé le sacrifice de la vie individuelle sur l’autel du devoir ou d’un catéchisme. Ayant un créancier auquel nous devons notre vie, nous n’avons aucun droit de la dépenser pour nous, le suicide même devient une action immorale. L’humanité est le credo des libéraux.

          Un homme n’est “appelé” à rien, il n’a pas plus de “devoir” ou de “vocation” que n’en ont une plante ou un animal, mais s’il n’a pas de vocation ou de mission à remplir, il a des forces et ces forces se déploient, se manifestent où elles sont parce que, pour elles, être c’est se manifester et qu’elles ne peuvent pas plus rester inactives que ne le peut la vie qui, si elle “s’arrêtait” ne serait plus la vie.

          Employer ses forces n’est pas la vocation et le devoir de l’homme, mais son fait, perpétuellement réel et actuel.

          Les hommes sont comme ils doivent être et comme ils peuvent être. On n’est pas capable d’être ce qu’on n’est pas, on n’est pas capable de faire ce qu’on ne fait pas. Possibilité et réalité sont inséparables. Les gens intelligents prennent les hommes “comme ils sont” et non “comme ils devraient être”.

          Aussi longtemps que durera l’époque des prêtres et des pédagogues, le penser dressera sa domination contre l’égoïsme. L’histoire n’a été, jusqu’ici, que l’histoire de l’homme spirituel. La suite des siècles lui a donné la culture et j’entends profiter de ses expériences. J’accepte avec reconnaissance tout ce que les siècles de culture m’ont acquis : je ne veux rien rejeter ou abandonner. Mais je veux encore DAVANTAGE.

          Ce qu’un homme est, les choses le sont à ses yeux. De là cette considération que tout jugement que je porte sur un objet est l’œuvre, la création de ma volonté; je suis par là de nouveau averti de ne pas me perdre dans la créature qu’est mon jugement mais de rester le créateur qui juge et toujours crée à nouveau.

          La pensée libre n’est pas ma pensée. “Radicalement différente de la pensée libre et la pensée qui m’est propre, ma pensée, qui ne me conduit pas mais que je conduis, que je tiens en laisse et que je lance ou retiens à mon gré. Cette pensée, ma propriété, diffère autant de la pensée libre que la sensualité que j’ai en mon pouvoir et que je satisfait s’il me plaît et comme il me plaît, diffère de la sensualité libre, débridée, à laquelle je succombe.”

          Que pourrait donc être pour moi la liberté de pensée ? - Un mot vide de sens, - Les pensées, les vôtres et les miennes, sont ma propriété, et j’en use selon mon plaisir.

          La langue ou “le mot” exerce sur nous la plus affreuse tyrannie parce qu’elle conduit contre nous toute une armée d’idées fixes. Le langage, comme la pensée, doit être ta propriété.

          Que sont les vérités ? - Pour le croyant, une chose accomplie, un fait; pour le libre-penseur, une chose qui doit encore être décidée. “Les vérités sont des phrases, des expressions, des mots (logos); reliés les uns aux autres, enfilés bout à bout et rangés en lignes, ces mots forment la logique, la science, la philosophie.”

          “Le penser ne peut pas plus cesser que le sentir, mais la puissance des pensées et des idées, la domination des théories et des principes, l’empire de l’Esprit, en un mot la Hiérarchie durera aussi longtemps que les prêtres auront la parole - les prêtres, c’est-à-dire les théologiens, les philosophes, les hommes d’Etat, les philistins, les libéraux, les maîtres d’école, les domestiques, les parents, les enfants, les époux, etc... La Hiérarchie durera tant qu’on croira à des principes, tant qu’on y pensera ou même qu’on les critiquera; car la critique même la plus corrosive, celle qui ruine tous les principes admis, le fait en définitive encore au nom d’un principe.”

          Le secret de la critique est “une vérité” : tel est l’arcane de sa force.

          Pour toute critique libre, le critérium était une pensée; pour la critique propre, égoïste, le critérium c’est moi... Est vrai ce qui est mien; est faux ce dont je suis la propriété : vraie, par exemple, est l’association “volontaire” (1) - faux sont l’Etat et la société... Aucune pensée n’est sacrée, aucun sentiment n’est sacrée. Pensées, sentiments, croyances sont révocables et son ma propriété précaire que Moi-même je détruis comme c’est Moi qui a crée.

          “Tant qu’il reste une seule vérité à laquelle l’homme doit vouer sa vie et ses forces parce qu’il est homme, il est asservi à une règle, à une domination, à une loi, etc. : il reste serf. L’Homme, l’Humanité, la Liberté sont des vérités de ce genre.“

          Rien, aucun “intérêt suprême de l’humanité”, aucune “cause sacrée” ne vaut que tu la serves et que tu t’en occupes pour l’amour d’elle; ne lui cherche aucune autre valeur que dans ce qu’elle vaut pour toi.

          Ce n’est pas l’Homme qui est la mesure de tout : je suis cette mesure... Quand je critique, je n’ai pas seulement en vue mon but, je me procure en outre un plaisir, je m’amuse selon mon goût : suivant que cela me convient, je mâche la chose ou je me borne à en respirer le parfum.

          “Par votre activité, vous créez d’innombrables oeuvres : vous avez changé la figure de la Terre et édifié partout des monuments humains : de même, grâce à votre pensée, vous pouvez découvrir d’innombrables vérités, et nous nous en réjouirons de tout cœur. Mais je ne consentirai jamais à me faire l’esclave de vos machines nouvelles : je n’aiderai à les mettre en marche que pour mon usage; vos vérités non plus, je ne veux que les employer, sans me laisser employer par elles ou pour elles.”

          Que m’importe que ce que je pense et ce que je fais soit chrétien ? Que ce soit humain ou inhumain, libéral ou illibéral, du moment que cela mène au but que je poursuis, du moment que cela me satisfait, c’est bien. Accablez-le de tous les prédicats qu’il vous plaira, je m’en moque.

          “De même que le monde, en devenant ma propriété, est devenu un matériel dont je fais ce que je veux, l’esprit doit, en devenant ma propriété, redescendre à létal de matériel devant lequel je ne ressens plus la terreur du sacré. Désormais, je ne frissonnerai plus d’horreur à aucune pensée, quelque téméraire ou “diabolique” qu’elle paraisse, car, pour peu qu’elle me devienne trop importune et désagréable, sa fin est en mon pouvoir; et désormais je ne m’arrêterai plus en tremblant devant une action parce que l’esprit d’impiété, d’immoralité ou d’injustice y habite, pas plus que saint Boniface ne s’abstint par scrupule religieux d’abattre les chênes sacrés des païens. Comme les choses du monde sont devenues vaines, vaines doivent devenir les pensées de l’esprit.”

          A la sentence chrétienne “nous sommes tous des pécheurs”, j’oppose celle-ci : nous sommes tous parfaits ! Car nous sommes à chaque instant tout ce que nous pouvons être et rien ne nous oblige jamais à être davantage.

          Telles sont mes relations avec le monde.

          Les dernières pages sont consacrées à définir “l’Unique” et les fondations sur lesquelles il repose.

          “Si je ne sers plus aucune idée, aucun être supérieur”, il va de soi que je ne servirai plus non plus aucun homme - sauf et dans tous les cas - Moi. Et ce n’est pas seulement par l’être ou par l’action, mais encore par la conscience que je suis l’Unique.

          “Il te revient plus que le divin, l’humain, etc.; il te revient ce qui est tien.

          “Regarde-toi comme plus puissant que tout ce pourquoi on te fait passer, et tu seras plus puissant; regarde-toi comme plus et tu seras plus.

          “Tu n’es pas simplement voué à tout le divin et autorisé à tout l’humain, mais tu es possesseur du tien, c’est-à-dire de tout ce que tu as la force de t’approprier.”

          ... “Moi, je ne suis pas “un moi” auprès d’autres “moi” : je suis le seul Moi, je suis Unique. Et mes besoins, mes actions, tout en moi est unique. C’est par le seul fait que je suis ce Moi unique que je fais de tout ma propriété, rien qu’en me mettant en oeuvre et en me développant. Ce n’est pas comme Homme que je me développe, et je ne développe pas l’Homme : c’est Moi qui Me développe.

          “Tel est le sens de l’Unique.”

          “Que l’individu est pour soi une histoire du monde, et que le reste de l’histoire n’est que sa propriété, cela dépasse la vue du Chrétien. Pour ce dernier, l’histoire est supérieure, parce qu’elle est l’histoire du Christ ou de “l’Homme”; pour l’égoïste, seule son histoire a une valeur, parce qu’il ne veut développer que lui et non le plan de Dieu, les dessins de la providence, la liberté, etc... Il ne se regarde pas comme un instrument de l’Idée ou un vaisseau de Dieu. Il ne se reconnaît aucune vocation, il ne s’imagine pas n’avoir d’autre raison d’être que de contribuer au développement de l’humanité et ne croit pas devoir y apporter son obole : il vit sa vie sans se soucier que l’humanité en tire perte ou profit. Eh quoi ! Suis-je au monde pour y réaliser des idées ? Pour apporter par mon civisme ma pierre à la réalisation de l’idée d’Etat ou pour, par le mariage, donner une existence comme époux et père à l’idée de Famille ? Que me veut cette vocation ? Je ne vis pas plus d’après une vocation que la fleur ne s’épanouit et n’exhale son parfum par devoir.”

          “On dit de Dieu : “Les noms ne te nomment pas” Cela est également juste de Moi; aucun concept ne m’exprime, rien de ce qu’on donne comme mon essence ne m’épuise, ce ne sont que des noms. On dit encore de Dieu qu’il est parfait et n’a nulle vocation de tendre vers une perfection. Et Moi ?

          “Je suis le propriétaire de ma puissance, et je le suis quand je me sais Unique.”

          Dans l’Unique, le possesseur retourne au Rien créateur dont il est sorti. Tout Être supérieur à Moi, que ce soit Dieu ou que e soit l’Homme, faiblit devant le sentiment de mon unicité et pâlit au soleil de cette conscience.

          “Si je base ma cause sur Moi, l’Unique, elle repose sur son créateur éphémère et périssable qui se dévore lui-même, et je puis dire :

          “Je n’ai basé ma cause sur Rien.”

          Ainsi l’ouvrage s’achève comme il avait commencé.

(1) Verein que Reclaire traduit par “association” exprime toujours l’idée d’ “union”, de coopération volontaire - Dans sa polémique avec son critique Moses Hess, Stirner  donne quelques exemples d’ “unions” déjà existantes : “Peut-être qu’en ce moment même se réunissent des enfants devant sa fenêtre pour jouer en bons camarades. Qu’il les regarde et il verra des associations d’égoïstes assez gaies. Peut-être que M. Hess possède un ami, une amante; dans ce cas il saura de quelle manière un cœur s’attache à un autre, de quelle façon deux individus égoïstes s’associent pour jouir l’un de l’autre et comment il se fait que chacun y trouve son compte. Peut-être rencontrera-t-il dans la rue quelques amis qui l’inviteront à prendre un verre de vin avec eux - Est-ce qu’il les suit pour leur faire charité ? Ou bien est-ce qu’il se réunit avec ses amis parce qu’il s’en promet une jouissance ? Est-ce que ses convives auront l’obligeance de lui faire de beaux remerciements pour son sacrifice ? Ou bien sont-ils conscients d’avoir pour une heure formé une union d’égoÏstes ?”

(WIGANDS VIERTELJAHRSCHRIFT, III, 193-194.)

JOHN-HENRY MACKAY

- Brochure rééditée en janvier 2002 - No Copyright ( photocopiez & diffusez !!)  -

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